Le lancement de l’intrigue est un enjeu majeur dans le processus d’écriture d’une nouvelle. Il convient de capter immédiatement l’attention du lecteur, sans quoi… il zappe.
Le début d’une histoire contient deux composantes essentielles : l’exposition et l’élément déclencheur :
L’élément déclencheur
L’histoire est véritablement lancée à l’arrivée d’un événement que l’on nomme incident ou élément déclencheur et dont voici les caractéristiques :
Il doit concerner directement le protagoniste et provoquer une réaction.
Le héros d’une histoire est, par essence, celui qui réagit à l’élément déclencheur. Parfois, cet événement ne le vise pas spécifiquement, et ne touche pas que lui, mais il est celui qui réagit, c’est sa fonction dramatique première. Notons qu’un refus de réaction constitue en soi une réaction qui peut être temporairement justifiée.
Il doit bouleverser l’équilibre de vie du héros et générer un désir.
Il ne s’agit pas forcément d’un événement spectaculaire, le déclencheur de la plupart des histoires d’amour est un simple regard posé sur l’être aimé. On pourrait le comparer à un vase qui tombe par terre et qui doit nécessairement être brisé. S’il ne se brise pas, il suffit de le ramasser et l’histoire sera terminée. Cet événement doit occasionner pour le héros la prise de conscience d’un manque (il manque un vase). Le protagoniste va alors s’employer à combler ce manque. Cela devient son objectif, son désir le plus vif, et c’est cette volonté qui va soutenir tout le récit.
« Pourquoi fait-il tout ça ?
— Parce qu’il en a vraiment envie ! »
Il doit être connu du héros.
Le héros ne doit pas être en mesure d’ignorer que cet événement à eu lieu. L’élément déclencheur n’est pas l’événement lui-même, mais la prise de conscience par le héros de cet événement : Si la maison du héros brûle, le véritable déclencheur de l’histoire, c’est le moment où le héros apprend que sa maison brûle.
Il nécessite parfois un catalyseur et se décompose alors en deux parties. Dans ce cas, il est important de rapprocher ces deux parties au maximum.
Dans la nouvelle petites pratiques Germanopratines, parue dans le recueil Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, Anna Gavalda expose une rencontre amoureuse. Le déclencheur est la rencontre avec un homme. Cette rencontre est en deux parties : 1) Elle le remarque dans la rue, ils se croisent et se sourient, elle ne s’arrête pas et imagine qu’il la suit du regard. 2) Elle s’apprête à traverser la rue quand il l’interpelle et l’invite à dîner.
Techniquement, l’incident déclencheur n’est pas le moment où elle le voit, parce que sa réaction (un sourire) ne lui permet pas d’atteindre son objectif (vivre une histoire d’amour avec cet homme), qui n’est alors qu’une pensée plaisante, mais pas l’objet d’un réel désir. Ce moment est un catalyseur qui va permettre à l’incident déclencheur d’être dynamique : l’homme l’invite à dîner. Elle est alors obligée de réagir. Le catalyseur est important : l’homme entreprend la femme parce qu’elle lui a sourit. L’histoire n’aurait pas été la même si l’homme avait surgi de nulle part dans son dos pour l’inviter à dîner. Elle aurait sans doute pris peur et l’aurait éconduit. Lorsque le catalyseur survient, il est important de faire suivre rapidement le déclencheur.
Il peut être négatif ou positif pour le héros.
Tout est possible. Bien entendu, un protagoniste couvert de bonnes fortunes tout au long de l’histoire est souvent moins empathique, mais le déclencheur peut être positif pour le héros : Le gain d’une somme d’argent, un nouvel emploi, un nouvel amour, une grossesse, la découverte d’un parent… Tout est envisageable, du moment que cet événement lance une histoire en générant un désir : l’argent l’éloigne d’amis qu’il va falloir récupérer, ce père retrouvé s’avère être un profiteur insupportable dont il faut se débarrasser ou lui donne envie de découvrir ce qu’on lui a caché de son enfance…
Il peut être le fruit du hasard.
Le hasard fait partie de la vie. Il est parfaitement acceptable dans un récit de fiction, mais la multiplication des hasards conduit au scepticisme. Deuxième point, plus un hasard intervient tardivement dans l’histoire, plus il risque d’être contesté par le lecteur. Une histoire peut être déclenchée par un hasard : « ils se croisent dans la rue, il tombe amoureux d’elle ». À l’inverse, une intrigue peut difficilement se conclure par un événement hasardeux : « alors qu’il est poursuivi par des créanciers qui ont décidé de le battre à mort, il s’engage dans une ruelle et tombe sur un sac poubelle oublié par des truands et qui contient des liasses de billets. Il rembourse alors ses dettes et reprend le cours de son existence ». À la fin d’une histoire, ce sont les choix et les actions du héros qui déterminent ce qui arrive.
L’exposition
Ce qui précède l’élément déclencheur s’appelle l’exposition. Cette partie a pour fonction de fournir au lecteur toutes les informations dont il a besoin pour comprendre le déclencheur et la réaction du héros. La taille de cette exposition varie selon le degré d’universalité du déclencheur : votre héros est policier, un crime a été commis, il n’y a besoin d’aucune explication préalable.
Dans les formats de récit longs, comme un film ou un roman, l’exposition peut parfois représenter 20, voire 25 % de l’histoire. Il faut créer une situation qui nécessite une succession de petits évènements mis bout à bout, il faut expliquer les raisons qui poussent le héros et parfois même l’antagoniste à agir comme ils le font. Dans une nouvelle, il est important d’être rapide, parce que le lecteur, s’il n’est pas interpellé immédiatement, risque de passer au texte suivant. La taille de votre exposition dépend aussi du genre auquel s’affilie votre histoire. Une histoire d’amour peut démarrer avec plus de vélocité qu’un drame par exemple.
Dans la nouvelle D’abacule à Aztèque (aadvark to aztec), de Christopher Chambers, choisie par Michael Connely pour paraître dans l’anthologie moisson noire, Miranda est une jeune femme qu’un concours de circonstances va pousser à l’adultère. Elle va tromper son mari une seule fois avec un jeune homme qui tombera amoureux et souhaitera la revoir, ce qui va conduire à un drame. L’exposition tient une place importante dans cette histoire. Le catalyseur est exposé au début du deuxième paragraphe : elle renverse avec sa voiture un jeune homme quelque peu pitoyable. Le déclencheur arrive en bas de la 5ème page : Il faisait du porte à porte pour vendre des encyclopédies, il a sonné chez elle, elle l’a reconnu et l’a invité à entrer et, alors qu’ils se font face sur le canapé, l’homme touche une tâche de naissance sur la cuisse de la femme (déclencheur). La femme le repousse, mais elle est troublée (désir). Au milieu de la page 7, soit à environ 35 % de l’histoire, elle l’embrasse et choisit de succomber au désir. Cette histoire démarre très lentement, parce que l’auteur a pris le soin d’expliquer pourquoi Miranda va finir par tromper son mari alors qu’elle n’y était pas prédisposée : elle est bien faite et les hommes la regardent, elle offre un café à l’homme qu’elle a renversé pour s’excuser, pendant leur conversation, elle rit comme elle n’avait pas ri depuis longtemps, son mari est un crétin, il consomme de la drogue, l’homme renversé fait des petits boulots, il pratique le porte à porte pour vendre des encyclopédies, il se retrouve chez elle par hasard…
Si votre déclencheur nécessite une exposition longue, vous devez la rendre attrayante. Voici deux techniques :
La promesse thématique
C’est la technique employée par Chambers. Voici la première phrase de la nouvelle : « Miranda Wheeler, en théorie, était opposée à l’adultère. » Cette phrase est primordiale, parce qu’elle permet au lecteur de savoir où l’auteur va en venir. Le déclencheur n’est pas encore arrivé, mais il est déjà annoncé. C’est comme si l’auteur nous disait : « voilà ce qui va arriver, mais soyez un peu patient, je commence d’abord par vous expliquer comment on va en arriver là. » En découvrant cette phrase accrocheuse, je savais que je lirais cette nouvelle jusqu’au bout, c’est brillant !
Le mystère
Un mystère suscite toujours l’intérêt du lecteur. Un simple dialogue « j’ai une grande nouvelle à t’annoncer ! », et le public se demande de quoi il s’agit. N’hésitez pas à introduire du mystère : « mais, qu’est-ce qu’il y a dans cette mallette ? » Il est préférable que ce mystère ne soit pas gratuit, mais on vous pardonnera un petit artifice s’il soutient une exposition un peu lente
Et vous, quelles sont vos astuces pour démarrer vos histoires?
L’anthologiste
LUCAT a dit :
1 novembre 2013 à 16 h 54 min (UTC 0 )
Bonjour, je me tourne vers vous car je pense que vous êtes bien placé pour me renseigner. En effet je suis sur un projet d’écriture d’une nouvelle, et j’aimerais savoir à quel temps doivent être conjugué les verbes, et doit-on utiliser la 3e personne parce que j’ai utilisé la 1ere mais je pense que là ça devient une autobiographie. merci de me renseigner.
cordialement.